Benoit Bail
Quid du brut de fût.
Un Whiskey brut de fût, donc sans eau ajoutée avant sa mise en bouteille, offre de manière systématique des arômes et des saveurs puissants. Pour de nombreux amateurs de bourbon et de whiskey, un spiritueux non dilué et filtré au minimum représente l’expérience de dégustation sous sa forme la plus pure. Certains distillateurs ou maîtres de chai, surtout dans le bourbon, iront même jusqu’à affirmer que leurs produits sont les meilleurs lorsque directement dégustés à la sortie des fûts.
Pour certains, le bourbon pourrait être considéré comme un spiritueux clairement dédié au brut de fûts, de par ce phénomène qui augmente le degré d'alcool presque systématiquement lors du vieillissement sous le climat local du Kentucky qui réunit toutes les conditions à cet effet (contrairement à l'Écosse, où le degré diminue généralement au fil des décennies).
Comme déjà expliqué dans un article précédent, à mesure que le whiskey vieillit, une partie du liquide s’évapore, un phénomène connue sous le nom de part des anges, mais sous des climats chauds et secs, le fût perd plus rapidement en eau qu'en alcool, de sorte à ce que le degré du whiskey, augmente avec le temps. L'environnement du chai ou de l’entrepôt de stockage des fûts et plus particulièrement l'emplacement spécifique d'un fût dans ce chai, influenceront d'avantage le degré final du spiritueux.
Notons cependant qu’un whiskey mis en bouteille à moins de deux degrés en dessous de son degré de sortie du fût peut être étiqueté « brut de fût » ou plutôt « barre proof » ou « cask strength », selon l'Alcohol and Tobacco Tax and Trade Bureau aux États-Unis. Cette règle des « deux degrés » donne une marge de manœuvre aux distillateurs si le degré devait légèrement baisser entre le moment de la déclaration du produit et sa mise en bouteille.
Il y a plusieurs raisons pour lesquelles les whiskeys à haute teneur en alcool sont généralement apprécié par les consommateurs. De manière assez simple, notre nez et notre palais détectent différents arômes et saveurs en fonction de la concentration d'éthanol dans le verre. Différents composés aromatiques quitteront la solution et seront donc volatils qui « flotteront » dans l'air, juste au-dessus de notre verre, en fonction du degré du spiritueux. Mais ce n'est pas nécessairement que dû à une teneur en alcool plus élevée qu'on a l’impression qu’il a plus de saveur, mais aussi au fait que le liquide s’est lui concentré dans le fût.
L'élément clé de l'environnement de maturation d’un fût est l’humidité. L'eau aime l’équilibre et si on dépose un fût (non-hermétique par nature) dans un climat sec, l’eau aura tendance à vouloir compenser cette sécheresse et viendra donc à s’évaporer du fût, ce qui permettra aux autres éléments dans le fût à se concentrer. C’est de manière assez classique ce qui se passe dans des régions comme le Kentucky, région dans laquelle les étés sont relativement chauds et secs.
Dans un brut de fût, les saveurs sont donc simplement plus concentrées. Vous perdez un peu d'alcool pendant la période de maturation, mais vous laissez derrière vous beaucoup de sucres issus du bois, ainsi que des tanins, et c'est un équilibre entre le distillat et ces extraits de bois que recherchera le maître de chai.
Finalement, la concentration d'alcool peut tout de même atteindre un point qui peut rendre le whiskey désagréable, même pour un fan ardent des bruts de fût. Le liquide qui y entre au degré maximum légal de 62,5° peut ainsi monter jusqu'à 77,5° dans certains cas, en reposant sur les étages supérieurs les plus chauds et les plus secs d’un chai. Pour maîtriser ce phénomène, le maître de chai aura donc comme « levier » le fait de changer les fûts d’étage à sa guise en fonction de leur évolution pour tenter de trouver un équilibre en terme d’arômes. Il créé ainsi un système de rotation des fûts dans ces chais construits sur en moyenne 7 ou 8 étages.
Un autre élément souvent négligé, mais très important à la constitution d’un whiskey brut de fût, est le taux d’alcool au moment de sa mise en fût. La plupart des bourbons sont mis en vieillissement au degré maximum légal de 62,5° ABV, mais certains distillateurs choisissent de vieillir leurs distillats à un degré inférieur, même si cela augmente au final le nombre de fûts nécessaires et donc les coûts de production.
Si nous prenons l’exemple de Maker's Mark, les embouteillages en brut de fûts de la distillerie sont généralement compris entre 54° et 56°, ce qui sont des taux assez modestes par rapport à la concurrence sur le même segment. Ceci est dû au fait que Maker's Mark mets à vieillir son bourbon à 55° ABV. De plus, Maker’s vise à modérer d'avantage l'augmentation du degré alcoolique, en faisant tourner les fûts dans le chai à mesure qu'ils vieillissent. Aux étages intermédiaires à inférieurs, le degré sera plus ou moins stable ou baissera, à cause de l'humidité environnante qui fait perdre plus d'alcool que d'eau, alors qu'aux étages supérieurs, les fûts perdront plus d’eau et le degré d’alcool aura donc tendance à monter.
Maker's Mark ne sont cependant pas les seuls à réduire leurs produits avant mise en fût. Wild Turkey met également ses bourbons à vieillir avec un taux inférieur au maximum autorisé, en partant du principe qu’ajouter de l’eau avant la mise en fût fera de l’eau une partie intégrante du produit final, car elle aura vieillit avec le whiskey avant l’extraction du fût, là ou l’ajout d’eau après le vieillissement, ne fera que diluer les saveurs du bourbon.
En l'absence d'autres informations sur l’étiquette d’un bourbon, un degré élevé peut être un bon indicateur d’âge et de l'intensité de sa saveur, et donc souvent de sa qualité globale. Nous savons qu’aux États-Unis, le taux d’alcool augmente généralement avec le temps passé en fût, et nous pouvons donc en déduire que ce fût aura vieillit pendant un certains nombre d’années, puisque l’indication de l’âge d’un bourbon n’est pas obligatoire au delà de 4 ans.
Alors bien évidemment, il existe une solution simple lorsque le taux d’alcool monte trop haut et qu’on souhaite rendre son produit plus accessible et appréciable: l'eau.
Pour certains consommateurs, le whiskey brut de fût offre à la fois une saveur abondante, mais aussi une certaine flexibilité. Ainsi le maître de chai permet à l’amateur de déguster un produit pure et savoureux, mais également de le décliner à sa propre guise en adaptant le degré lui-même via l’ajout d’eau et ainsi d’en découvrir les différentes couches aromatiques qui se dissimulent dans le produit.
D’autres personnes considèreront cependant qu’ajouter de l’eau dans leur spiritueux n’est pas de leur ressort et que si le maître de chai avait voulu qu’on le déguste réduit, il l’aurait réduit lui-même.
Quoi qu’il en soit et peut importe votre avis sur la question, le whiskey brut de fût offre certaines saveurs riches et audacieuses et celles-ci, quand on y réfléchit, sont finalement le résultat de la combinaison de plusieurs phénomènes naturels avec lesquels la main de l’homme a appris à jongler au fil du temps.