Benoit Bail
Bottled-in-Bond... Kézako?
Dernière mise à jour : 26 sept. 2020
Aujourd’hui, je vais te parler du concept très particulier du bourbon « Bottled-in-Bond »…
Le Bottled-in-Bond Act, qui date du 3 mars 1897, était le résultat d'une lutte entre les producteurs de bourbon dit « pur » et ce que nous allons appeler les « rectificateurs » , qui achetaient tout simplement du bourbon en vrac et/ou de l’alcool neutre pour « fabriquer » du bourbon en utilisant parfois des méthodes à des millénaires de ce qu’une vraie distillerie est censée faire.
Ce fut une longue lutte avec un impact économique sur l'industrie de la distillation qui se fait encore ressentir aujourd'hui. Dans l'industrie du bourbon d'aujourd'hui, il est très utile de comprendre ce qu'impliquait ce combat entre deux branches de l'industrie du 19e siècle. De 1800 à 1820, ce que l’on appelle white dog ou encore moonshine et ce qui est donc le spiritueux blanc sortie de l’alambic avant vieillissement était tout simplement non vieillit et était souvent rectifié, ou amélioré en saveur, par divers moyens tels que le filtrage à travers un fût de charbon de bois d'érablier et des couvertures de laine. Ce processus est finalement devenu connu sous le nom de processus du comté de Lincoln (Lincoln County Process) qui différencie d’ailleurs le Tennessee bourbon du bourbon aujourd’hui.
D'autres méthodes de rectification du bourbon comprenaient l'ajout de fruits tels que des cerises ou des mûres. Cette pratique de rectification a conduit à une deuxième branche de l'industrie du bourbon - une entreprise qui a «amélioré» la saveur du bourbon sans fabriquer le bourbon lui-même.
Le vieillissement en fûts carbonisés est devenu connu comme un moyen d'améliorer le bourbon qu’à partir des années 1820 et le Bourbon est ainsi né. La première référence au bourbon en vente dans un journal du Kentucky remonte à 1821. Les gens ont aimé ce bourbon et les distillateurs ont commencé à vieillir leur bourbon dans des fûts carbonisés .
Peu de temps après que le bourbon vieilli soit devenu populaire, les gens ont commencé à chercher des moyens de recréer un bourbon similaire sans le long processus de vieillissement dans des fûts carbonisés. L'invention de la colonne à distiller, à cette époque, a permis la production à moindre coûts d'alcools neutres et a stimulé la croissance de l'industrie de la rectification.
Certains de ces « sauceurs » mélangeaient simplement des barils de bourbon vieilli avec de l’alcool neutre et y ajoutaient du sucre brûlé pour le goût et la coloration, ainsi que du thé noir pour les tanins et le colorant, voir même du jus de pruneau ou de cerise pour ajouter encore plus de saveur et changer d’avantage la couleur du breuvage. D’autres, pire encore, comptaient uniquement sur le sucre brûlé, le thé et le jus de fruits pour aromatiser leurs produits sans aucun alcool vieilli dans leur «bourbon». Certaines recettes de l’époque sont disponibles dans le livre Bourbon, de Fred Minnick, et demandent que l’alcool neutre soit coloré avec du « jus de tabac issu d'un crachoir », un peu d'acide sulfurique pour lui donner le côté «brûlant» et de la glycérine pour lui donner de la rondeur.
Après la guerre civile américaine , l'industrie de la rectification est devenue une préoccupation majeure pour les vrais producteurs de bourbon. Même les distillateurs qui possédaient des alambics à colonne et fabriquaient plus de bourbon, à un coût plus abordable, avaient du mal à concurrencer les faussaires sur le prix. Les distilleries qui ne gagnaient pas d'argent ont fait faillite. Et pour gagner de l'argent, il fallait convaincre le consommateur qu’une bouteille de vrai bourbon était meilleure (et valait donc plus) qu’une bouteille de bourbon rectifié.
À la fin des années 1890, les distillateurs ont commencé à vraiment ressentir cette perte sur le marché et les distilleries avaient des entrepôts de bourbon vieilli dont elles avaient du mal à se débarrasser tout en faisant des profits. Du coup, ils ont commencé à s’unir pour contre-attaquer!
Les distillateurs de bourbon pur ont vu leur chance quand un gars originaire du Kentucky, John G. Carlisle, est devenu secrétaire au Trésor du président Grover Cleveland.
Il les a aidés à mettre sur pied le « Bottled-in-Bond Act » de 1897 qu’il fallu présenter au Congrès. Il s'agissait là d'un texte législatif controversé auquel se sont opposés de nombreux rectificateurs (forcément). Les deux côtés de l'argumentaire incluaient d’un côté, pour le camp des producteurs de bourbon, un certain Edmund Haynes Taylor Jr. et son confrère James E. Pepper. Le camp d’en face, qui représentait donc les rectificateurs comprenait un certain George Garvin Brown et Isaac Wolfe Bernheim.
Du côté du rectificateurs, ils ont fait valoir le fait que le gouvernement interférait avec les affaires et que la loi donnerait aux producteurs de bourbon un avantage injuste sur le marché. Qu'il n'y avait pas besoin de ce projet de loi.
Les distillateurs de bourbon, eux, ont fait valoir qu'ils avaient besoin de cette législation pour aider les consommateurs à comprendre pourquoi leurs produits étaient plus chers à produire et pourquoi ces bourbons coûtaient plus cher à l'achat.
Ils ont également fait valoir, préfigurant ainsi les débats futurs sur la Pure Food and Drug Act de 1906, que de nombreux whiskies rectifiés contenaient des additifs qui pourraient être nocifs pour la santé du buveur. Et boom…
Le gouvernement de l’époque autorisait déjà des entrepôts sous douane pour le vieillissement du bourbon avant que les distillateurs n'aient à payer leurs impôts, avec des représentants gouvernementaux sur place, il n'y aurait donc aucun coût supplémentaire pour le gouvernement. Si cette loi donnait un avantage aux producteurs de bourbon sur le marché, c'était uniquement parce qu'elle garantissait ainsi la pureté du bourbon, ce qui était bon pour les consommateurs. Finalement, la loi a été adoptée.
Alors que dit cette loi exactement?
Tout le bourbon contenu dans une bouteille doit provenir d’une seule et même distillerie.
Le bourbon doit être fabriqué au cours d’une même saison.
Le bourbon doit être vieilli pendant au moins quatre ans dans un entrepôt sous douane (surveillé donc par le gouvernement).
Le bourbon doit être embouteillé à 50% ABV en ajoutant rien d'autre que de l'eau au bourbon. Aucun agent aromatisant ou colorant ne peut être ajouté au bourbon.
Les bouteilles sont ensuite scellées avec un timbre fiscal donnant au consommateur des informations sur le bourbon. Ces règlements garantissaient qu'il ne s'agissait que de bourbon pur en bouteille.
Alors, que signifient ces règlements? La première est que tout le bourbon devait être fabriqué dans la même distillerie. De nombreux rectificateurs de l’époque achetaient du bourbon de plusieurs distilleries pour les mélanger afin de créer leur propre profil gustatif. Dans de nombreux cas, c'était tout ce qu'ils faisaient, tel des embouteilleurs indépendants et ils avaient d'excellents produits dans la plupart des cas, mais les producteurs de bourbon voulaient que le consommateur sache d’où provient le bourbon.
Ainsi chaque bourbon portant un timbre fiscal indiquait le numéro DSP de la distillerie qui fabriquait le bourbon.
Le deuxième règlement a donné au consommateur la date approximative de production du bourbon dans une fourchette de 6 mois. Il y a deux saisons dans l'année d'une distillerie: le printemps et l'automne.
Le printemps est du 1er janvier à la fin juin. L'automne est du 1er juillet à la fin décembre. Le timbre fiscal indique alors la saison et l'année de fabrication du bourbon, ainsi que la saison et l'année de mise en bouteille du bourbon. Par exemple, un bourbon indiquant « fabriqué au printemps 1975 et mis en bouteille à l'automne 1980 », indiquerait au consommateur que le bourbon avait environ 5 ans et demi.
Tout le bourbon est stocké dans un entrepôt sous douane jusqu'à ce que le distillateur soit prêt à payer la taxe d'accise sur le bourbon. Au moment où la loi a été adoptée, la période de cautionnement était de 8 ans, mais elle est de 20 ans depuis 1958. Le bourbon entrant dans ces entrepôts doit y être conservé pendant au moins 4 ans avant d’être mis en bouteille.
Il aura fallu une décennie, suite à l’approbation du « Bottled-inBond » Act , avant que les consommateurs commencent à réellement accepter le fait que le bourbon bottled-in-bond soit aussi spécial et à être prêts à payer le coût supplémentaire pour un bon bourbon. Concernant les rectificateurs, nombreux d’entre eux ont vu que cette croissance du marché était inévitable et, après 1898, ont commencé à acheter des distilleries afin qu'ils puissent eux aussi avoir un bourbon Bottled-in-Bond à vendre.
Le bourbon Bottled-in-Bond a finalement atteint son objectif et a séparé les produits purs des whiskeys mélangés et artificiels. Ceci aura été la norme de qualité du bourbon pendant plus d’un demi siècle, mais comme le bourbon est tombé en disgrâce avec la génération des années 60 et 70, les ventes de bourbon « Bottled-in-Bond » ont chuté.
En 1984, lorsque le gouvernement a déréglementé l'industrie, l'une des choses qu'il a éliminées était le timbre fiscal cautionné. Ils ont continué d'exiger que la distillerie soit inscrite sur l'étiquette, mais les informations saisonnières ont été perdues pour le consommateur.
Aujourd'hui, il faut supposer que les whiskeys ont au minimum quatre ans à moins que la marque n'indique l'âge sur l'étiquette.
Le bourbon Bottled-in-Bond n’était finalement pas très populaire auprès des distillateurs car il était plus difficile de fabriquer un produit cohérent sans assembler des bourbons d’âges multiples et il était également moins cher d’embouteiller des bourbons à moins de 50% ABV, sans compter qu’une distillerie pourrait obtenir plus de bouteilles par fût avec un produit plus réduit.
L'élimination du timbre fiscal a ainsi permis d'économiser de l'argent au niveau de la production, mais ça lui aura coûté de supprimer les caractéristiques les plus attrayantes du bourbon: les informations sur la production.
La question est donc de savoir pourquoi un distillateur devrait-il fabriquer un produit sous douane au 21e siècle? Ils font de bons produits et ont eu un siècle pour éduquer le consommateur sur ce qu'est le bourbon. Pourquoi s'embêter?
La réponse est pour les mêmes raisons de l’époque où la loi a été adoptée en 1897. Il y a de plus en plus de produits sur le marché qui brouillent les lignes de la réglementation sur les bourbons. Ils ajoutent des arômes et fabriquent des produits mélangés, mais les appellent toujours «Bourbon», contre la réglementation établie. Ils laissent des déclarations d'âge de moins de 4 ans sur les étiquettes, contre la réglementation pour tous les whiskies.
Ils déprécient l'image du bourbon au détriment des distillateurs qui suivent les règles. Le bourbon « Bottled-in-Bond » aiderait à ramener la connaissance des consommateurs, mais pour faire cela correctement, les distillateurs doivent également rapporter les informations des timbres fiscaux perdus en 1984 et informer le consommateur non seulement de la distillerie où le bourbon a été fabriqué, mais aussi des informations saisonnières afin qu'il puisse connaître l'âge du bourbon.
Les mots d'ordre seront donc information, transparence et éducation.
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